Un rapport de L’Institut Tunisien des Etudes Stratégiques (ITES) : « Immigration clandestine, un trafic qui rapporte 400 milliards de dollars par an »
L’Institut Tunisien des Etudes Stratégiques (ITES) vient de publier une étude intitulée : « le phénomène de l’immigration clandestine ». Un document d’une trentaine de pages à travers lequel des experts scrutent le phénomène qui fait chaque année des dizaines de milliers de morts. Qui se cache derrière cette hécatombe ? Peut-on empêcher des gens de fuir la misère ? Comment l’Europe traite-elle ses nouveaux venus ?
Dans l’étude de l’ITES on apprend, en outre, que l’une des causes de la mort durant la traversée est l’inexpérience et la précarité des embarcations utilisées par les passeurs. N’ayant aucune connaissance en mécanique, toute panne de moteur peut se transformer en véritable catastrophe.
Le document de 31 pages, s’appuie aussi sur une enquête faite en 2016 par le Forum pour les droits économiques et sociaux et la Fondation Rosa Luxemburg et réalisée auprès de 1.168 jeunes Tunisiens âgés entre 18 et 34 ans. Il en ressort que le chômage est la première cause d’immigration. Ainsi 54.6% ont exprimé leur volonté de quitter le pays et 31% trouvent que l’immigration clandestine en est le moyen. Nous sommes donc ici en présence de futurs migrants économiques.
Le rêve d’une vie facile véhiculé par ceux qui réussissent à revenir l’été au pays, représente l’un des moteurs principaux qui alimentent le phénomène. Beaucoup d’entre eux envoient aussi régulièrement de l’argent à leur famille via des banques off-shore qui appliquent des taux usuraires (9 euros pour chaque 100 euros virés). La vérité c’est que cet argent provient bien souvent d’activités illégales telles que le trafic de drogue.
Historiquement, l’Italie a toujours été la porte d’entrée de l’Europe. Au cours de la deuxième guerre mondiale, elle a également été une porte de sortie pour les millions de gens qui fuyaient le fascisme, la guerre et la mort. Beaucoup d’entre eux se sont réfugiés clandestinement en Tunisie. Cette immigration nord-sud a duré plus de 20 ans et a laissé de nombreux vestiges dans le sud, tel que le quartier italien de Gabadji à Sousse ou encore la vieille Sicile de la Goulette.
Au terme du conflit, l’Europe devait être reconstruite, l’immigration s’est alors inversée. Des migrants bon marché ont été appelés à venir et on leur a donné la nationalité des pays hôtes. En contrepartie, ils devaient travailler, beaucoup. On les a aussi invités, par une sorte d’artifice urbanistique, à ne pas se mélanger aux habitants, dits « de souche ».
Plus tard, entre les années 1985 et 1995, un visa a été imposé au Tunisiens. Cette mesure qui devait à la base aider à contrôler leur nombre, a produit l’effet inverse. Ce qui obligea les Européens à légiférer obligeant les pays du sud à augmenter les contrôles et à criminaliser ceux de leur citoyens qui tentèrent de travers clandestinement la méditerranée. Rien n’y a fait. Entre 2011 et 2017, on a recensé plus de 20 mille clandestins tunisiens, en plus, sur le sol italien.
Malgré les dizaines de milliers de morts chaque année et les arrestations en pleine mer, les Tunisiens continuent aujourd’hui à traverser. Sur des bateaux de pêche, des semi rigides ou même des embarcations précaires, ils traversent la mer et meurent souvent pour atteindre le paradis qu’ils voyaient à la télévision. « Acheter la mort » en méditerranée coûte aujourd’hui entre 3.000 et 8.000 dinars par personne, tout dépend du point de départ et de la taille du « cercueil ».
Multipliées par le nombre de « voyageurs », ces sommes astronomiques constituent une source de revenu importante pour les réseaux du grand banditisme italien et albanais, comme l’avait si bien expliqué le directeur de l’information et de la communication et porte-parole du ministère l’Intérieur, le colonel-major, Khalifa Chibani, lors d’une intervention sur Nessma TV, le 30 octobre 2017.
« L’organisation est italienne et les exécutants sont tunisiens » avait-t-il dit. Avant d’ajouter : « La technique pour attirer les jeunes vers la traversée clandestine des frontières s’est développée : l’embrigadement est aussi effectué pas des clandestins qui arrivent en Italie à travers les vidéos qu’ils publient ».
Lorsqu’ils sont repêchés par la marine italienne à leur arrivée, les clandestins sont entassés dans ce qu’on appelle des CPT (centre de permanence temporaire), en attendant leur expulsion. Ces centres sont, pour les associations locales des droits de l’homme, de vrais ghettos. La nourriture y est rationnée, les conditions d’hygiène lamentables et les rixes sont quotidiennes. Et si par chance ils parviennent à s’échapper, c’est la rue et les hivers froids qui les attendent. Sans travail, ni domiciles, ils résident dans des squats, se droguent. Ils deviennent violents et dangereux pour la population qui les stigmatisait déjà à leur arrivée. Une infime partie réussira un jour à s’intégrer à travers des procédures légales spéciales appelées « Sanatorie » que l’Etat italien met en œuvre lorsqu’il a besoin de main d’œuvre.
L’année 2017 fut aussi marquée par l’émergence d’embarcations guidées par des néofascistes qui travaillent en connivence avec l’autorité islamiste de Tripoli (Libye). En gros, « ces citoyens avertis » prennent aujourd’hui la mer pour défendre leur patrie contre les barbares. Ils repêchent toute embarcation clandestine dans les eaux territoriales italiennes et la ramènent sur la cote libyenne où les conditions de détention sont encore pires que celle « offertes » en Italie.
Dans la 4ème page du rapport, une phrase saute aux yeux. On y parle de migrants « légaux » cette fois-ci, qui viennent concurrencer les habitants « de souche » pour avoir du travail. Il s’agit là d’une rhétorique utilisée par les partis d’extrême droite lors des élections. Si un jeune citoyen européen peut se déplacer partout dans le monde pour travailler ou tout simplement voyager, le jeune Tunisien de base, n’a pas ce droit.
Risquant leur vie pour atteindre « l’Eldorado », des milliers de jeunes Tunisiens prennent le large, peu rebutés par les conditions de vie qui les attendent. Des centaines d’immigrés clandestins atteignent la plages italiennes chaque année, d’autres, moins « chanceux », meurent noyés en pleine mer. En octobre dernier, le naufrage d’une embarcation de clandestins a fait 45 morts au large de Kerkennah, de quoi relancer un débat qui figure au coeur des priorités actuelles en Tunisie.
Voir également : http://www.huffpostmaghreb.com/2017/11/08/immigration-clandestine-t_n_18502126.html
Voir le rapport de l’ITES (en arabe) : http://www.ites.tn/wp-content/uploads/2017/11/immigration-r%C3%A9sum%C3%A9.pdf